Les cas secrets du russe

Si vous apprenez le russe, vous savez qu’il a six cas : nominatif, génitif, datif, accusatif, instrumental, prépositionnel. C’est aussi ce que les Russes apprennent à l’école.

Mais les choses ne sont pas si simples : certains linguistes comptent plus de cas – parfois jusqu’à quinze. Voyons donc quels sont ces cas supplémentaires.

Vocatif

Le vocatif est le septième cas des langues slaves. Il sert à interpeller quelqu’un. Couramment utilisé en tchèque et en ukrainien, il a quasiment disparu en russe. On ne le trouve que dans des expressions religieuses : О́тче наш (Notre Père), Бо́же мой! (Mon Dieu !) Го́споди! (Seigneur !)

Mais il existe aussi en russe moderne une forme parfois appelée néo-vocatif, utilisée dans la langue familière pour s’adresser à quelqu’un. C’est utile à savoir, parce que c’est une forme que vous entendrez très souvent.

Elle s’applique à des membres de la famille tels que ма́ма, па́па, тётя ou бабу́ля ainsi qu’aux diminutifs de prénoms. En théorie, on peut utiliser cette forme avec les prénoms complets, mais ce vocatif est familier et est donc normalement utilisé dans des contextes où on n’utilise pas les prénoms officiels. Le principe est simple, il suffit de retirer le -а final : мам! (maman !) Саш! (Sacha !) Тань! (Tania !) Ce vocatif n’existe qu’avec les mots en -а (ou -я) précédés d’une seule consonne : on ne peut pas retirer la voyelle finale de сестра́, Илья́ ou Са́шенька et obtenir un résultat prononçable en russe.

Locatif

Vous le connaissez probablement déjà : contrairement aux autres cas, celui-ci est généralement expliqué dans les manuels de russe.

Le locatif est une variante du prépositionnel qui n’existe que pour une minorité de noms au singulier et qui s’utilise seulement après les prépositions в et на : во рту (« dans la bouche »). Mais avec une autre préposition, c’est bien le prépositionnel usuel qu’on utilise : о рте (« à propos de la bouche »).

Notez qu’on utilise le locatif seulement quand il est question d’un lieu, pas quand в ou на a un autre sens. Comparez :

  • он зна́ет толк в ле́се (« la forêt, il s’y connaît ») ;
  • он зна́ет толк в лесу́ (« il s’y connaît dans la forêt »).

Sa formation est simple : pour les noms masculins, ajoutez un -у (-ю) accentué. Pour les noms féminins (oui, il existe des noms féminins avec un locatif, je l’ai découvert récemment parce que les manuels en parlent rarement), accentuez-les sur la terminaison : в грязи́ (« dans la boue »), mais о гря́зи (« à propos de la boue »).

Comment savoir quels mots ont un locatif distinct du prépositionnel ? Allez voir le Wiktionnaire russe : il recense 278 noms qui ont un locatif. Et encore, pour beaucoup d’entre eux, le locatif est rare ou archaïque. Cela dit, cette liste inclut pas mal de mots courants : круг (« cercle »), край (« bord »), аэропо́рт (« aéroport »), снег (« neige »), мозг (« cerveau »)…

Partitif

Le partitif est un cas qui existe notamment en finnois et qui désigne une partie d’un objet. En français, on a un article partitif : « du lait », « de la lumière ». En russe, on utilise généralement le génitif singulier pour exprimer la même chose.

Cependant, certains noms masculins ont une forme spéciale, appelée partitif. Celui-ci se forme avec -у (ou -ю) et il est identique au datif : ча́шка ча́ю (« une tasse de thé »).

Si vous voulez en savoir plus, voici une page avec des explications en anglais. Il faut savoir que le partitif existe pour ne pas être surpris si on le rencontre, mais il n’y a pas besoin de se prendre la tête avec : on peut tout à fait utiliser le génitif habituel (ча́шка ча́я), et le partitif semble être de moins en moins utilisé. La seule expression où je l’utilise est мно́го наро́ду (« beaucoup de monde »).

Forme numérale

Vous le savez, les numéraux qui se terminent par deux, trois ou quatre sont suivis du génitif singulier, par exemple три дня (« trois jours »).

Intéressons-nous maintenant au mot час (« heure »). Son génitif singulier est ча́са, par exemple до э́того ча́са (« jusqu’à cette heure »). Mais « trois heures » se dit три часа́, avec l’accent sur la terminaison.

Certains mots ont donc une forme numérale distincte du génitif singulier, mais ils sont rares. À part час, j’ai trouvé seulement шаг (« pas »), шар (« boule ») et ряд (« rang »).

Ablatif

L’ablatif est, dans certaines langues comme le latin, un cas qui indique la provenance. En russe, il s’utilise comme variante du génitif après des prépositions indiquant l’origine (notamment из). Comme le partitif, il s’applique à certains noms masculins et se termine par -у au lieu de -а. La seule expression utile à retenir avec ce cas est упусти́ть из ви́ду (« perdre de vue »).

Vous pouvez éventuellement rencontrer l’expression и́з лесу (« de la forêt », accentué sur la préposition). J’ai demandé à un russophone son opinion sur cette expression : « à moins que tu sois en train d’écrire un conte, dis из ле́са ».

Vous pouvez d’ailleurs commencer à entrevoir que le nombre de cas en russe est, comme bien des choses en linguistique, une question de définitions et de manière d’analyser les choses. Plutôt que de considérer qu’il existe un cas qui ne s’applique qu’à une poignée de mots dans des contextes spécifiques, je trouve plus simple de dire que упусти́ть из ви́ду est une expression figée.

Translatif

La première fois que j’ai mis l’interface de Facebook en russe et que j’ai vu « Доба́вить в друзья́ » (Ajouter à ses amis), je me suis dit : « Une préposition suivie du nominatif ? C’est quoi ça ? Tout ce que je croyais savoir des cas en russe est un mensonge ? » Pas du tout : c’était le translatif.

Le translatif est un cas de certaines langues comme le finnois et qui indique en quoi quelque chose se transforme. En russe, c’est un cas un peu particulier, identique au nominatif, qu’on trouve uniquement avec des noms animés au pluriel après la préposition в, dans des expressions telles que :

  • кандида́т в президе́нты : « candidat pour être président » ;
  • идти́ в го́сти : « aller rendre visite » (« en invité ») ;
  • пойти́ в солда́ты : « s’engager comme soldat ».

Attendatif

Ce mot est tout autant un barbarisme que le russe жда́тельный dont il est une traduction possible. Jetez un coup d’œil aux phrases suivantes :

  • Жду письма́. « J’attends une lettre » – « lettre » semble être au génitif.
  • Жду ма́му. « J’attends maman » – « maman » semble être à l’accusatif.

On peut analyser ça de deux manière différentes :

  • Le verbe ждать (« attendre ») est suivi du génitif si on attend quelque chose d’inanimé, et de l’accusatif si on attend quelqu’un d’animé.
  • Le verbe ждать est suivi d’un cas mystérieux, utilisé uniquement avec ce verbe et toujours identique à l’accusatif ou au génitif.

Je préfère la première.

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3 réponses

  1. Anne sophie dit :

    Passionnant ! Je n avais jamais remarqué tout cela !! J aurais aussi un ajout à proposer : les nombres qui changent pour exprimer le nombre d enfants que l on a. : три en трое
    Il y a sûrement d autres cas où le chiffre se transforme mais je n ai que celui ci en tête. Il m a toujours surprise et je n ai jamais réussi à comprendre les subtilités des nombres russes (outre la règle des 2, 3, 4 et 5+ que j ai vite comprise bien sûr)

    • M. dit :

      Ce n’est pas une histoire de cas mais de numéraux collectifs, et je dois avouer que j’ai aussi des problèmes avec (je ne comprends pas tout à fait quand on doit les utiliser). Les nombres en russe, c’est vraiment quelque chose de complexe, j’ai même un livre dessus, il faudrait que je m’y replonge.

  2. Lydia dit :

    Жду пи́сьма, je me serais faite carrément avoir et j’aurais traduit par  » j’attends des lettres ».
    Vu dans 99,99 % il n’y a pas d’accent écrit, j’y aurais juste vu un accusatif pluriel normal.
    Pour le locatif, de mémoire c’était le seul nom donné au cas par ma prof au lycée ( il y a plus de 20 ans), je suis tombée des nues en reprenant le russe en fac l’an dernier, je ne savais pas qu’il avait un autre nom.
    De mémoire c’était  » certains mots – liste à apprendre- ont un locatif alternatif en -y.Voilà apprenez ça pour la semaine prochaine ».
    Après ça ne m’étonnerait pas que ce soit deux cas qui ont fusionné en un.
    ni que mes correspondants russophones emploient ça  » au pif »,sans savoir pourquoi ni pouvoir l’expliquer autrement que  » bah,c’est une exception ». Pareil pour le partitif

    J’ai commencé à regarder un peu le bashkir, par curiosité, juste parce que j’ai un correspondant bashkir, c’était son anniversaire en début de mois, et j’ai fouillé las sites russe sur la langue bashkire pour trouver la formule bon anniversaire, que je suis absolument incapable de prononcer. La langue semble être un best-of des difficultés du russe , aspects, verbes de mouvement, etc.. – et des langues turciques ( agglutinement, harmonie vocalique… mais pourquoi avoir des pronoms possessifs déclinés quand l’agglutinement indique déjà la possession, ça fait doublon…doit y avoir des cas très particuliers d’utilisation, c’est très mystérieux).

    Je crois qu’on va en rester à la solution de facilité qu’est le russe, pour communiquer. Car oui, dans ces circonstances, le russe est la solution de facilité. 🙂

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